Si on devait noter la difficulté d'une réparation par des livres comme on retrouve parfois des toques ou des poêlons pour évaluer la difficulté d'une recette de cuisine, on peut dire que cet exemple en mériterait quelques-uns ! On n'est pas dans la petite réparation par laquelle on peut commencer mais l'exemple plus ardu qui demande une expérience confirmée de la réparation de BD et de la restauration de papier. Il n'empêche, nous ne touchons pas à l'impossible, loin de là et comme dit le proverbe, à coeur vaillant, rien d'impossible ! Disons que pour avoir une chance de réussir, il faudra vous entourer d'un environnement propice, calme à souhait, d'avoir du temps devant vous, de ne pas vous être disputé avec votre belle-mère, ni votre femme ni même votre patron de la journée. C'est une entreprise pour laquelle certains gestes seront précis et maîtrisés. Pour les plus audacieux, cet atelier a le mérite de toucher à la réparation de certaines BD qui ont une particularité, c'est-à-dire de ne pas avoir des pages de gardes propres mais plutôt des gardes qui font partie des cahiers. C'est un point commun à certaines publications de Casterman et donc à certaines publications d'Hergé. Pour donner un peu d'audace aux plus timides, cette réparation ne demande que peu ou pas de matériel spécialisé et onéreux. Il ne vous reste qu'à débuter modestement par une vieille édition mais pas forcément par l'EO surévaluée.
Commencons par une petite théorie sur le type de reliure. Dans l'exemple de gauche, nous retrouvons le cas classique. Les deux couvertures aux extrémités, les feuilles de garde pliées en deux et au centre les cahiers. Dans le cas présent, on parlera de fausses gardes car elles ne font pas partie des cahiers mais sont rapportées et généralement constituées d'un autre papier que les cahiers (si vous voulez un exemple, les pages Spip des recueils Spirou et bien d'autres). Dans la figure de droite, on retrouve des (vraies) gardes c'est-à-dire des gardes formées par les pages extérieures des cahiers ! Si vous ne voyez pas la difficulté directement, il suffit de penser à l'emboitage final ! En effet, dans le premier cas, on peut réparer les fausses gardes et les cahiers séparément. Dans le deuxième cas la réparation se fera sur l'ensemble et il faudra donc idéalement décoller les gardes des couvertures !
Commencons par une présentation du malade. La charnière avant...
... le bas du dos...
...le haut du dos...
... et pour finir la garde arrière.
On commence directement par les difficultés. On va décoller les gardes. Chacun son truc. Pour en avoir essayé plusieurs, le meilleur résultat pour moi est obtenu en étalant de la colle de tylose fluide sur la garde. Cette solution est préférable à l'utilisation d'eau qui va trop humidifier la couverture.
Une fois la tylose étalée généreusement, je couvre celle-ci par un plastique (épais) et je vais mettre le tout sous presse. A défaut de presse, la solution économique reste une paire de planches et des poids. Il faut un plastique très lisse pour qu'il n'accroche pas à la colle et attendre quelques minutes.
SI et seulement SI la garde a l'air de se décoller plus ou moins facilement, on y va. Sinon, on va remettre un peu de tylose, remettre la feuille de plastique et remettre sous presse.
N'espérez pas décoller la garde comme on décolle un timbre poste. C'est ici que commence le travail qui peut durer une heure si nécessaire ! On va tirer la feuille tout doucement, millimètre par millimètre en s'aidant d'un scalpel à lame plate (manche 4, lame 25).
Si le travail prend trop de temps, on peut remettre un peu de tylose pour garder le support humide. Dès qu'un morceau semble adhérer, (morceau de papier qui reste accroché) on pousse avec le scalpel pour éviter les déchirures. Le résultat doit être parfait !
Vous devez arriver à ce résultat. Les petites traces blanches sur le carton indiquent les zones d'adhérence. C'est le point sensible de l'opération ainsi que les bords de la garde. Dans les deux cas, le scalpel doit vous éviter de déchirer le papier !
Une fois la garde décollée, il reste à séparer le papier de la mousseline qui tient les cahiers (ou le papier kraft).
Le moment est critique car à cet endroit ( la charnière), le papier est fragilisé par la pliure et donc demande un surcroît d'attention juste au moment où on croit toucher au but ! Si maintenant la garde était déjà déchirée au préalable, vous aurez deux morceaux !
L'exemple en temps réel (pour une garde) a pris une bonne heure !
Mais l'effort est récompensé.
Le sourire béat du pêcheur montrant sa prise !
Une fois la garde détachée, il vaut mieux la mettre sous presse ou sous poids (avec des planches) entre deux visselines histoire qu'elle reprenne une forme plane
On va obtenir les couvertures et la mousseline d'assemblage. Il est indispensable de mettre aussi les couvertures sous presse (ou poids) entre deux planches car l'apport d'humidité va déformer les cartons si on les laisse sécher à l'air libre !
La couverture ainsi obtenue va permettre d'être réparée en toute sécurité. On va essayer de trouver le papier le plus proche de l'original et le coller avec de la colle d'amidon de l'intérieur comme dans le cas d'un dos toilé.
Revenons à la garde. La réparation est classique, par papier japon collé sur le verso. C'est une étape qui a déjà été vue auparavant.
Résultat sur la garde avant...
...et arrière.
Et la réparation du dos par l'intérieur
Le souci reste l'aspect final de la pièce ajoutée (surtout chez Casterman qui utilisait du papier Pellior). Dans ce cas, la papier a été teinté après séchage, passé à la colle d'amidon et patiné au plioir.
Si le résultat final ne vous convient pas, on reteinte et on peut finir par une cire de reliure pour cuir.
La partie supérieure présentée ici demande par exemple une nouvelle retouche de teinte (par crayons pastel)
Si certains chirurgiens devraient être privilégiés dans l'étape suivante, elle est à la portée de tous, rassurez-vous. On va recoudre et pour ce faire trouer le papier pour faciliter le passage du fil. On passe l'étape déjà vue de la réparation des dos de cahier avec du papier japon mais bien entendu, cette étape reste essentielle avant de continuer !
Avec une feuille rigide découpée en forme de L, on va noter les trous à faire et les percer avec un poinçon. Si certains vont privilégier les coutures décalées par rapport à celles d'origine, je préfère respecter le montage initial et donc recoudre à l'identique. A faire APRES réparation complète des cahiers ! Vous trouez cahier par cahier en faisant attention au bonne alignement des feuilles !
Voila le résultat de l'ensemble des cahiers troués.
Il restera à vous munir d'aiguilles courbées et de fil de lin. Le choix de ce dernier est à votre meilleure convenance. Ne prenez pas du fil blanc et choisissez le assez proche au niveau de l'épaisseur. J'ai des bobines trouvées sur les brocantes, un fil crème ici n°30.
La longueur du film doit vous permettre de faire les 4 aller-retour nécessaires (car 4 cahiers ici) plus une vingtaine de cm (10cm de trop à chaque extrêmité de la couture) Il vaut mieux 1 cm en trop que trop peu ! Je vous invite à télécharger l'explication sous forme de schéma ici.
Si vous avez le schéma sous les yeux, vous devriez comprendre plus facilement ! D'après celui-ci, on laisse 10cm de fil sortir du premier cahier et puis dedans, dehors, dedans, on place le 2ème cahier, dedans, dehors et dedans, on ressort à l'extrême droite du cahier du dessus !
Attention, le fil de lin est solide MAIS supporte difficilement qu'on tire par à coup. Donc, on tire pour tendre le fil en tirant et toujours dans le sens de la couture, Ne tirez pas vers vous, vous déchireriez les cahiers!
Le fil tendu, vous faites la première chaînette en nouant le fil qui sort du 2ème cahier avec le fil qui sort du premier cahier
Voilà les deux premiers cahiers coussus ! N'oubliez pas de faire la même chose de l'autre côté !
On ajoute le 3ème cahier et on recommence, dedans, dehors, dedans. On ressort à gauche du 3ème cahier !
On tend le fil de lin, et on fait la chaînette en introduisant l'aiguille (c'est pour cela qu'elle est courbée !) et en faisant un noeud.
La photo représente le noeud prêt à être serré. Notez que je presse le fil tendu avec un doigt pour éviter qu'il se détende pendant cette opération.
Le résultat sur les 3 premiers cahiers.

Et le 4ème, même chose, dedans, dehors, dedans et puis chaînette.

Les 4 cahiers recousus.
Et une vue en gros plan du résultat.
Le milieu d'un cahier. On voit bien le fil de lin qui rentre deux fois dans chacun d'eux.
Dernière étape, on va coller les cahiers. La couture sert principalement à maintenir les feuilles des cahiers. La colle va maintenir les cahiers ensemble.
Pour y arriver, on va aligner les cahiers en les tassant. On préfère l'alignement du dessus des cahiers et du côté droit (extérieur ou opposé à la reliure). C'est mieux d'avoir un défaut d'alignement éventuel vers le bas !.
Un morceau de mousseline va consolider l'ensemble.Elle va remplacer celle qu'on a enlevée au départ et qu'on voit au milieu des couvertures lors du démontage de départ.
La colle à utiliser dépendra de vous ! Idéalement, colle animale de reliure, à défaut et en vous prévenant que ce geste n'est pas dans l'optique d'une restauration réversible, vous pourriez utiliser de la colle blanche de reliure (pas de la colle à bois !!!)
Une fois le livre bloqué entre les planches, on encolle les dos des cahiers généreusement (il faut que la colle pénètre un entre ceux-ci) et on pose la mousseline. On va de nouveau passer avec le pinceau pour bien faire prendre la toile dans la colle !
On laisse sécher une demi-journée sinon 24 heures et on obtient les cahiers cousus, collés et maintenu par la mousseline.
Il suffira d'emboiter les cahiers dans la couverture. On encollera les gardes et la mousseline de colle d'amidon, le tout sous presse ou à défaut, sous poids.
Voilà les gardes remontées
Et le livre terminé. Bon courage !